Position de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) adoptée à la réunion du comité exécutif de 28-29 octobre 2020

La stratégie européenne 2010-2020 en faveur des personnes handicapées, adoptée par la Commission européenne en 2010, constituait un instrument politique fondamental pour l’habilitation des personnes souffrant de handicap afin qu’elles puissent pleinement jouir de leurs droits. La CES et ses organisations membres ont contribué à son élaboration et à sa mise en œuvre.
Le cadre actuel arrive à son terme et la CES appelle donc la Commission européenne à présenter dès que possible une nouvelle stratégie.
Par ce document exposant sa position, la CES souhaite apporter sa contribution à la dimension emploi de la prochaine stratégie.
La CES et le Forum européen des personnes handicapées (FEPH) ont travaillé ensemble pour soutenir la mise en œuvre de la stratégie actuelle. Notre étroite collaboration en matière d’emploi et de négociation collective en faveur des personnes souffrant de handicap remonte à 2004. A travers ce document de position, la CES veut aussi relancer la coopération entre les syndicats et les organisations représentant les personnes handicapées.
Le mouvement syndical s’engage à être accessible et accueillant vis-à-vis des représentants victimes d’un handicap dans l’ensemble de sa structure.
Lutter contre les discriminations au travail est une priorité pour le mouvement syndical. Un récent rapport d’Eurofound livre un aperçu des meilleures pratiques concernant l’implication des partenaires sociaux dans la rédaction d’une législation nouvelle ou révisée (par exemple en Finlande et en Suède) et de priorités politiques. Il présente également plusieurs conventions collectives sectorielles et autres actions communes des partenaires sociaux, y compris des dispositions portant sur des droits à congé supplémentaires pour les travailleurs atteints de handicap (Bulgarie, Allemagne, France, Italie, République tchèque, Grèce, Autriche, Pologne, Portugal, Espagne et Estonie).
Avec un taux d’emploi de 48,1% contre 73,9% pour l’ensemble de la population, la situation sur le marché européen du travail est désastreuse pour les personnes handicapées. Les femmes et les jeunes souffrant d’un handicap présentent des taux d’emploi encore plus bas. Ces chiffres ne disent toutefois rien de la qualité des emplois ni même s’il s’agit du marché ouvert du travail ou d’ateliers protégés. Ils excluent en outre les personnes handicapées vivant en institutions de soins.
Législation européenne et internationale et cadre politique
Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH)
Cette convention est conçue comme un instrument des droits humains comportant une dimension explicite de développement social. La CES souligne la contribution positive majeure que son adoption représente pour la protection des droits des personnes handicapées. La Convention est fondée sur les principes de non-discrimination et d’égalité et définit les obligations des États de promouvoir, protéger et garantir les droits des personnes souffrant de handicap. En son article 27 sur le travail et l’emploi, elle inclut des engagements tels que, par ex., la promotion d’opportunités d’emploi pour les personnes handicapées, tant dans le secteur public que privé, et l’aménagement du lieu de travail pour ces personnes. En même temps que la convention, un protocole optionnel a été établi qui porte sur un mécanisme de réclamation pour les personnes handicapées qui allèguent que leurs droits au titre de la convention leur ont été refusés. La CES demande avec insistance à tous les États membres de ratifier ce protocole optionnel.
Agenda 2030 et Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies
Alors que la CDPH est juridiquement contraignante, l’Agenda 2030 et les ODD constituent une vision politique pour un monde meilleur à atteindre à l’horizon 2030. Ces engagements politiques offrent la possibilité d’influer sur la mise en œuvre de la CDPH. Deux objectifs de développement durable sont particulièrement pertinents pour le soutien des personnes handicapées dans le marché du travail : l’ODD 8 sur l’emploi et la croissance économique et l’ODD 10 sur la réduction des inégalités.
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
L’article 19 du TFUE dispose que l’UE peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.
Directive européenne 2000/78/CE portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail
Cette législation concerne la protection contre toute discrimination dans le domaine du travail et de l’emploi, qu’elle soit fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. L’article 5 de la directive impose aux employeurs de prévoir des aménagements raisonnables du lieu de travail pour accueillir des travailleurs victimes d’un handicap.
Le Socle européen des droits sociaux (SEDS)
Le Socle européen des droits sociaux engage politiquement l’UE et ses États membres sur d’importants principes, y compris le droit à un salaire équitable, à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, à la santé et à la sécurité au travail et à des services essentiels de bonne qualité pour construire un modèle de croissance plus inclusif. Le principe 17 promeut l’inclusion des personnes handicapées dans le marché du travail et peut contribuer au renforcement du cadre anti-discrimination européen existant. D’autres principes du SEDS protègent également les personnes handicapées au travail et dans la société, notamment les principes 3 sur l’égalité des chances, 4 sur le soutien actif à l’emploi, 5 sur des emplois sûrs et adaptables, 6 sur les salaires, 7 sur les informations concernant les conditions d’emploi et la protection en cas de licenciement, 8 sur le dialogue social et la participation des travailleurs et 10 sur un environnement de travail sain, sûr et adapté et la protection des données.
La CES réclame une nouvelle Stratégie européenne en faveur des personnes handicapées
La CES réclame une nouvelle Stratégie 2021-2030 en faveur des personnes handicapées qui devrait s’appuyer sur la stratégie actuelle et s’accompagner d’actions ciblées pour veiller à l’intégration des droits des personnes handicapées dans les politiques, les programmes et les instruments de l’UE.
Les objectifs de la stratégie actuelle qui n’ont pas été atteints devraient être repris avec ambition dans la nouvelle stratégie. Celle-ci devrait tenir compte du contexte social et économique européen actuel et des difficultés que rencontrent les personnes handicapées en raison de la crise sanitaire et économique due à la pandémie de la Covid-19.
La nouvelle stratégie devrait faire référence aux engagements au titre de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées et de la législation pertinente de l’UE ainsi que du Socle européen des droits sociaux et des objectifs de développement durable. La stratégie devrait en outre adopter une approche transversale fondée sur le genre dans toutes ses composantes.
La nouvelle stratégie devrait être le principal instrument au niveau européen garantissant la pleine inclusion sociale et économique des personnes handicapées dans la société.
S’agissant de l’emploi, la CES demande à la Commission européenne d’inclure les éléments suivants dans la future stratégie en faveur des personnes handicapées :
Éducation et culture
La stratégie devrait veiller à la pleine mise en œuvre du droit à une éducation ordinaire et inclusive ; elle doit garantir l’accessibilité et l’inclusion de l’éducation permanente et de l’apprentissage tout au long de la vie, assurer l’accessibilité et le soutien nécessaires dans les programmes européens de financement tels qu’Erasmus+.
Lutte contre la discrimination
La stratégie devrait inclure des mesures ambitieuses pour mettre fin aux pratiques selon lesquelles les travailleurs handicapés sont rémunérés sous le salaire minimum. Elle doit également faire respecter l’application des directives européennes existantes en matière de non-discrimination à l’emploi en insistant particulièrement sur l’accès aux procédures de recrutement. Les employeurs publics et privés ainsi que les services de l’emploi devraient avoir l’obligation de publier toutes les offres d’emploi disponibles. Cette mesure vise à protéger tous les groupes de la société confrontés à des obstacles à l’embauche en tenant compte de l’intersectionnalité de la discrimination qui fait que des individus et des groupes de la société sont souvent et simultanément confrontés à différentes formes de discrimination.
Politiques actives du marché du travail
La nouvelle stratégie devrait renforcer les mesures d’intégration des personnes handicapées dans le marché du travail et dans un environnement de travail normal. Des mesures complémentaires pour combattre l’exclusion professionnelle sont également nécessaires alors que, dans le contexte de la crise de la Covid-19, de nouveaux licenciements pour cause d’invalidité pourraient encore accroître l’exclusion du marché du travail sans retour possible pour les travailleurs souffrant de handicap. Compte tenu des taux élevés de chômage, des mesures d'incitation à l'embauche de personnes handicapées devraient être envisagées.
La stratégie devrait considérer le recours aux fonds européens pour faciliter l’emploi de ces personnes dans le marché ouvert du travail, y compris en investissant dans la formation professionnelle. Les travailleurs dont le handicap est le résultat d’un accident, que ce soit au travail ou ailleurs, devraient être soutenus pour retrouver un emploi, reprendre leur emploi ou trouver un emploi équivalent adapté à leurs nouvelles compétences sans perdre les conditions de travail dont ils jouissaient avant leur accident. De telles dispositions devraient aussi s’appliquer à celles et ceux qui doivent temporairement interrompre leur travail pour prendre soin d’une personne handicapée. La stratégie devrait prévoir des mesures appropriées afin de garantir que les personnes handicapées aient un accès effectif aux programmes techniques généraux et aux programmes d’orientation professionnelle, aux services de placement et à la formation professionnelle continue. Des efforts particuliers devraient être faits pour garantir l’accessibilité et l’inclusion complètes des femmes souffrant de handicap dans les programmes d’enseignement et de formation professionnels.
Concernant les ateliers protégés, les personnes handicapées devraient au moins bénéficier d’un statut juridique en matière de droits du travail équivalent à celui des personnes travaillant dans un environnement de travail ouvert. Cela inclurait aussi l’application des conventions collectives des secteurs économiques concernés. Des efforts devraient également être entrepris pour former et soutenir les travailleurs dans leur transition vers le marché ouvert du travail. Dans certains États membres, d’autres systèmes de travail adapté ont été mis en place. Bien que ceux-ci respectent pleinement le droit du travail, l’objectif de transition vers le marché ouvert du travail devrait également être poursuivi. La stratégie devrait mettre fin à la ségrégation en matière de soins en institution en prévoyant d’importants investissements pour faciliter la transition de la vie en institution vers la vie en communauté.
Le transfert des droits aux services de soutien devrait être accordé aux travailleurs souffrant de handicap lorsqu’ils s’installent dans un autre pays de l’UE : ceci est impératif pour garantir la libre circulation et l’égalité des chances en matière d’emploi.
La compatibilité entre revenus professionnels et allocations d’invalidité devrait également être encouragée dans l’ensemble des États membres. Les allocations d’invalidité existent pour compenser les coûts de la vie supplémentaires qu’entraine un handicap et ne devraient pas être perdues une fois qu’une personne handicapée commence à travailler. L’incompatibilité entre salaire et allocations est une forme de discrimination qui prive les personnes handicapées de leur droit d’améliorer leur situation financière par le travail et les expose à un risque accru de pauvreté. Les revenus des autres membres de la famille d’une personne handicapée bénéficiant ou sollicitant des allocations ne devraient pas être pris en compte afin de promouvoir l’indépendance et l’autonomie de la personne.
Sécurité et santé au travail (SST)
Une action ciblée est nécessaire concernant les risques de sécurité et de santé au travail qu’encourent les travailleurs handicapés. Une approche préventive devrait être adoptée pour soutenir le recrutement et le retour au travail de ces travailleurs. Cela peut se faire à travers des parcours intégrés associant prévention en matière de SST et différentes formes de mesures d’employabilité telles que soutien individualisé, conseils et orientation, accès à un enseignement et une formation professionnels ou classiques. Le manque de reconnaissance des souffrances morales en tant que maladies professionnelles et du handicap qui en résulte doit également être pris en compte.
Aménagement du lieu de travail aux capacités d’un travailleur handicapé
La CES exhorte la Commission européenne à renforcer l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables du lieu de travail pour les travailleurs handicapés. Cela inclut l’utilisation d’outils et d’équipements numériques et électroniques ainsi que de logiciels et de matériel destinés à soutenir les travailleurs souffrant de handicap et à leur faciliter l’exécution de leur travail. Le soutien personnel (en termes de mobilité) et le traitement médical des travailleurs handicapés qui en ont besoin ne devraient pas être suspendus en raison de la pandémie de la Covid-19 mais être maintenus dans le plein respect des règles de sécurité et de santé au travail. L’aménagement du lieu de travail aux fonctionnalités d’un travailleur souffrant de handicap est l’une des dispositions concernant l’« aménagement raisonnable » de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (UNCRPD), à savoir « les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ».
La stratégie devrait prévoir des investissements dans l’accessibilité de l'environnement bâti et faire de l’accessibilité aux transports un préalable à toute initiative de l’UE en matière de nouvelles technologies et de recherche. L’UE devrait également agir pour assurer la disponibilité et le caractère abordable des technologies d’assistance.
La CES souhaiterait attirer l’attention sur la méthode des « certificats d’aménagement » pratiquée au Royaume-Uni. Ces certificats consistent en un relevé des aménagements convenus entre un employeur et un travailleur handicapé afin de soutenir ce dernier sur son lieu de travail pour pallier des problèmes de santé, une déficience ou un handicap. Ils visent à assurer que chaque partie est pleinement informée des aménagements qui ont été convenus réduisant ainsi la nécessité de réévaluer ces aménagements chaque fois qu’un travailleur handicapé change de fonction, est transféré ou passe sous l’autorité d’un autre responsable et peuvent servir de base à de futures discussions sur les aménagements.
Négociation collective
Les représentants des travailleurs devraient être périodiquement consultés concernant les politiques d’intégration poursuivies au niveau sectoriel et de l’entreprise.
Financement
La mise en œuvre de la stratégie devrait être facilitée par un financement de l’UE, en particulier par le FSE+, afin d’accroître les moyens que les États membres consacrent à l’égalité des chances, aux infrastructures et aux mesures d’inclusion et d’activation dans le marché ouvert du travail. Aucune réduction des bénéfices économiques ne devrait intervenir en raison de la pandémie de la Covid-19.
Statistiques
Des statistiques précises et périodiques devraient être établies au niveau européen de manière à contrôler les taux d’emploi des personnes handicapées ventilés par sexe et type de handicap et inclure des informations sur l’écart salarial dû au handicap.
Actions de sensibilisation
Enfin, la stratégie devrait prévoir et soutenir des campagnes de sensibilisation à propos des obstacles auxquels sont confrontées les personnes souffrant de handicap, que celui-ci soit visible ou pas. Ces campagnes devraient insister sur les discriminations multiples et intersectionnelles dont sont victimes certains groupes de personnes handicapées, singulièrement les femmes et les jeunes filles, les personnes LGBTI, les migrants et les réfugiés et les minorités ethniques.
Dernière mise à jour : 27 décembre 2021